Découvrez le nouveau site web du magasin : www.analogcollector.fr
Tous les journaux annoncent la fin du disque, on ne parle que de MP3, et vous, Rémi Vimard, vous ouvrez une boutique de disques vinyles !
Attention ! Quand on parle de la mort du disque, c'est du CD qu'on parle. Et en effet, je crois que le CD est un support moribond, qui a montré ses limites. Mais le vinyle, curieusement, est plutôt en plein renouveau. J'en ai même vu en grande surface ! Certains éditeurs choisissent de sortir leurs nouveautés en vinyles. Ainsi, de Bob Dylan à Sting chantant Dowland, le bon vieux LP sort du purgatoire. On peut encore aller plus loin : Vincent Ségal ne sort son prochain album qu'en vinyle... C'est tout de même la preuve que le public est là. Et qu'il a une platine !
Comment expliquez-vous cela ?
Eh bien, si les rayons vinyles ont disparu de chez les disquaires comme la Fnac, ce n'est pas pour autant que les usines ont fermé. Pourquoi ? Parce que les DJ en ont fait leur support de prédilection. C'est grâce à eux que les grandes marques de cellules ont survécu.
Une cellule ? Qu'est-ce que c'est ?
Le phonocapteur, ce qui est situé au bout du bras et qui se termine par un diamant… Sa qualité est capitale pour restituer le son d'un disque. Prenez par exemple les plus célèbres fabricants de cellule qui équipe la plupart des DJ : la branche "sono" de ces fabricants a permis de faire vivre l'ensemble de sa gamme, y compris la "hi-fi". Et, puisqu'il y avait une demande, les ingénieurs n'ont pas cessé leurs recherches... On a tendance à associer le vinyle au temps passé. Mais figurez-vous qu'il n'a jamais existé autant de cellules et d'accessoires analogiques qu'aujourd'hui ! C'est un vrai marché de niche, dans lequel se sont lancées de nombreuses petites maisons. Les cellules LYRA par exemple permettent d'accéder au vrai haut de gamme pour un rapport qualité-prix encore raisonnable, avec le modèle "Dorian".
Mais pourquoi préférer l'analogique ? Dans mon souvenir, les disques vinyles, ça crépite, ça craque… C'est charmant, mais pas très "bon", au niveau du son, non ? En tout cas, moins bon qu'un CD !
C'est un vaste débat, et il est vrai qu'il existe aujourd'hui de très bons CD, même si les premiers repiquages étaient déplorables. Ecoutez du blues ou du jazz des années 50 en vinyle : vous aurez l'impression que les musiciens sont là, dans la pièce. Ecoutez-les en CD : soudain c'est un document d'archive, lointain, exhumé d'autrefois. Les mauvais repiquages font croire que les vieux enregistrement sont démodés, alors qu'ils peuvent être restitués de façon très vivante sur un vinyle. La grande cantatrice Elisabeth Schwarzkopff allait même plus loin : elle affirmait carrément qu'elle ne reconnaissait pas sa propre voix quand elle l'entendait sur un CD !
Quelle est la différence ? Expliquez-moi. Le son du CD est pourtant très net…
Net, oui, mais ceux qui ont goûté au son analogique ne peuvent plus revenir à celui du CD, qui leur apparaît soudain froid, voire glacial, métallique. Vous voyez la différence entre un film en 35 mm projeté au cinéma et un DVD qui passe sur un écran de télévision, n'est-ce pas ? L'image en salle est plus "chaleureuse". Celle qui passe sur la télé est certes très nette, mais plus "froide".
La différence entre l'analogique et son repiquage numérique est un peu du même ordre. L'encodage numérique correspond bien aux musiques électroniques. Mais dès qu'il s'agit de restituer le son d'instruments en cuivre ou en bois, l'analogique n'a pas son pareil. Quand on écoute du violoncelle en vinyle sur un bon équipement, on entend le bois de l'instrument.
… Et aussi le bois qui crépite, je maintiens !
Les crépitements, comme vous dites, c'est une autre histoire. Ils viennent le plus souvent d'un problème de nettoyage. Un microsillon, par définition, n'est pas une surface lisse, donc ces petits sillons s'encrassent. Même si ça ne se voit pas.
Il existe des produits pour les nettoyer, mais l'idéal reste de les faire passer dans une machine spécifique (photo), comme celle que j'utilise au magasin. La différence entre avant et après est souvent spectaculaire.
Et c'est tout ? Avec un disque propre, j'aurai un son limpide ?
A condition d'avoir un bon équipement, ce qui n'est pas une mince affaire : j'organise régulièrement au magasin des séances d'écoute de nouveau matériel, enceintes, ampli, préampli, cellule… Chacun de ces maillons a un rôle essentiel à jouer. Même la qualité des câbles y est pour quelque chose ! Mais sans devenir obsessionnel du matériel hi-fi, il y a une consigne toute simple que n'importe quel amateur de vinyle devrait appliquer : ne pas écouter des disques mono avec une cellule stéréo. Et réciproquement.
Pourquoi ?
Pour simplifier, je dirais que les sillons ne sont pas les mêmes : ils n'ont ni la même forme, ni la même largeur, ni le même type de gravure. On a souvent tendance à écouter tous les disques avec une cellule stéréo, donc équipée d'un diamant de 17 microns, alors qu'une lecture fidèle des sillons mono nécessite une taille de diamant de 25 microns. Résultat ? On a l'impression que le disque mono est abîmé, le son est alors distordu et le bruit de surface excessif. Bref, c'est un peu technique, tout ça, mais le résultat, c'est que le disque "craque". Mais ce n'est pas une fatalité. Je rassure souvent mes clients en leur disant qu'une qualité de son altérée sur leurs disques ne signifie pas qu'ils soient tous fichus…
Justement, venons-en à vos clients. Quel est le profil de ceux qui viennent dans votre boutique ?
Le panel est très large : il va de l'étudiant au retraité, du musicien pointu à l'amateur curieux. Les plus jeunes découvrent le vinyle, d'autres le retrouvent, et d'autres encore ne l'ont jamais quitté.
Vous avez donc une clientèle jeune ?
Certains clients, oui, n'ont jamais eu de 33 tours à la maison, ou très peu, il y a longtemps, et ils sont séduits par l'objet. Un vinyle, c'est souvent une belle pochette, parfois même un objet culte qu'on met au mur. Beaucoup de pochettes ont été réalisées par des artistes.
Par exemple, j'ai accroché en ce moment au magasin une petite expo de pochettes dessinées par Cassandre (photo à gauche), le célèbre affichiste qui a donné lieu l'an dernier à une exposition à la BNF (qui, d'ailleurs, n'a malheureusement pas rendu compte de son travail pour le disque).
En jazz, vous avez les fameuses Blue Note, et puis l'avant-garde, avec les pochettes argentées psychédéliques de la collection de Philips Prospective du XXIe siècle (photo à droite), sans parler de certaines pochettes Pop/Rock qui sont de véritables œuvres d'art (la "banane" d'Andy Warhol pour le Velvet Underground)… On est très loin du côté virtuel du son téléchargé en MP3 : il y a le plaisir de posséder un bel objet, dont on peut faire collection. Et puis, au-delà de l'aspect graphique, ces clients sont sensibles à ce que j'essayais de vous expliquer tout à l'heure, la présence et la chaleur du son analogique.
Et ceux qui avaient arrêté ? Pourquoi ont-ils arrêté ? Et pourquoi s'y remettre ?
Il s'agit des gens qui avaient déjà une discothèque de vinyles et qui se sont convertis au CD à la fin des années 1980. A cette époque, le CD, c'était la modernité absolue, l'avenir de la musique… Le vinyle s'est retrouvé d'un coup "ringardisé" : il fallait changer les faces toutes les demi-heures, les disques s'abîmaient plus que le CD, réputé inaltérable (vous savez comme on est revenu là-dessus !), etc. La pression des majors était considérable, elles avaient tout intérêt à imposer ce nouveau support : imaginez un peu le marché qui s'ouvrait soudain, si tous les gens jetaient leurs vinyles pour refaire leur discothèque en CD!
Et le pire, c'est que ça a marché. Les gens se sont débarrassé de leurs vieux disques, parfois en les mettant sur le trottoir. Ça ne valait plus rien. Aujourd'hui, beaucoup s'en mordent les doigts. Ils aimaient certaines œuvres, ils les ont rachetées en CD et ils n'ont jamais retrouvé la magie des enregistrements tels qu'ils les aimaient. Beaucoup ont mis du temps à analyser d'où venait cette déception. Raison technique ? Ils n'ont cessé d'acheter du matériel hi-fi numérique toujours plus performant, vanté par les marques. Le son était précis, mais toujours pas de magie. Raison psychologique ? Ils se sont demandé si ce phénomène n'était pas tout simplement de la nostalgie. Et puis, quinze ou vingt ans plus tard, ils se sont remis au vinyle, afin de retrouver leurs sensations passées…
Vous annonciez un troisième type de clientèle : ceux qui n'ont jamais arrêté. Des résistants ?
Ils ne sont pas tous hostiles au CD, la guerre n'est pas là, quand on aime la musique : ils ont acheté en CD ce qu'ils aimaient et qui n'existait pas en vinyle. Mais sans abandonner l'amour pour leurs "galettes", qu'ils ont continué à collectionner.
Quand les clients entrent dans votre magasin, qu'est-ce qu'ils vous demandent ?
C'est très variable, et je suis là pour répondre aux requêtes les plus hétéroclites. Certains ne jurent que par un interprète, d'autres ne collectionnent les disques que par labels, il y a de tout… J'ai déjà eu des clients qui me chantonnent un air pour que je leur retrouve le disque. D'autres qui ont entendu parler d'un "pianiste russe avec un nom en -itch", et c'est à moi de retrouver l'intitulé complet. Il y a ceux qui ne pensent que par code, et qui me demandent si j'ai le SXL 2015 (heureusement, j'ai une bonne mémoire, je vous rassure !). D'autres qui ont besoin de conseils, qui veulent savoir si le premier pressage de tel morceau est meilleur que sa réédition chez Speakers Corner, ou que sais-je…
Vous passez donc beaucoup de temps à conseiller ?
Evidemment. Pour moi, être disquaire, c'est être passionné de musique, plus encore que commerçant. Mon comptable me le reproche parfois en fin de mois, mais c'est ainsi que j'envisage tout le plaisir de mon métier. Comme la boutique est petite, dès qu'il y a plusieurs clients, on se sent comme dans un salon. Très souvent, quand un client entame une discussion avec moi, les autres participent, donnent leur avis. Dès qu'on parle d'un disque, on l'écoute, on compare les différentes versions, c'est passionnant. Comme le système d'écoute est plutôt bon, en général, dès que je mets un disque, les gens me demandent ce qui passe et veulent l'acheter. Quand je vous parlais d'une "présence" incomparable du vinyle…
En résumé, quelles sont les bonnes raisons de venir vous voir au magasin ?
Un client me disait justement cette semaine cette phrase qui m'a touché : "Avec vous, on retrouve enfin le plaisir, perdu depuis quinze ans, de passer son après-midi chez un disquaire !". Je crois qu'il a tout dit. Aller chez un disquaire, c'est se faire conseiller, se faire accompagner en musique dans la voie qu'on a choisi de défricher. Il y a même des gens pour qui je fais une sélection, parce que j'ai appris connaître leurs goûts et, quand ils passent, je leur dis : "Ecoutez-ça, je suis sûr que ça devrait vous plaire". En général, ils me font confiance et ils repassent pour me remercier. Et puis je travaille en partenariat avec des artisans du son. Avec eux, j'organise toute l'année des démonstrations. Il y aura même bientôt des petits concerts. Alors, si vous flânez dans le Marais... poussez la porte !